Le prix de Coincy 2021 a été décerné à Jérôme Munzinger. Retrouvez l’éloge prononcé à cette occasion par Arnaud Mouly.

 

Le prix de Coincy décerné par la SBF récompense traditionnellement une recherche particulièrement importante en taxonomie végétale. Il a été décerné pour l’année 2021 à Jérôme Munzinger, chercheur en botanique à l’IRD de Montpellier. La remise du prix, qui a eu lieu lors de la séance du 25 mars 2022, a été précédée d’un éloge prononcé par Arnaud Mouly. En voici la vidéo et le texte ci-dessous.

 

 

Texte de l’éloge à Jérôme Munzinger prononcé par Arnaud Mouly

 

Cher Jérôme,

Quel plaisir de t’accueillir au sein de notre société afin de te remettre ce prix.

Amateur de botanique depuis l’enfance Jérôme Munzinger a fait ses classes sur la flore tempérée à Caen, via un investissement dans une association étudiante naturaliste et auprès de botanistes chevronnés, MM. Alain Lecointe et Michel Provost.

Ensuite, ce qui marquera un tournant de sa carrière, il se pique pour la flore tropicale et notamment de Nouvelle-Calédonie aux côtés de MM. Tanguy Jaffré et Jean-Marie Veillon, entre 1998 et 1999.

Après des études universitaires à Caen, du DEUG à la Maîtrise, Jérôme effectue un DEA au Muséum national d’Histoire naturelle sur le genre Hybanthus (Violaceae) dans le Sud-Ouest de l’Océan Pacifique auprès de M. Thierry Deroin. Puis il réalise sa thèse de doctorat au Laboratoire de Phanérogamie sur les genres Hybanthus et Agatea (Violaceae) de Nouvelle-Calédonie sous la direction du Professeur de l’époque M. Philippe Morat. Suite à ce doctorat, de 2002 à 2004, Jérôme assure un poste d’ATER à Montpellier, une ville qui sera son port d’attache lorsqu’il devient chargé de recherche à l’Institut de Recherche pour le Développement en 2004. Rattaché au Laboratoire AMAP à Montpellier, il prend rapidement la responsabilité de l’équipe de Botanique et d’Ecologie appliquée du centre IRD de Nouméa, jusqu’en 2011. A son retour en métropole, il devient co-responsable de thème en systématique à l’UMR AMAP.

Il effectue lors de chacune de ses affectations divers enseignements dans le champ de la botanique, tantôt tropicale, tantôt méditerranéenne. Jérôme, au cours de ces années, a encadré divers étudiants de Licence et de Master, et surtout trois doctorants : Laure Barrabé, sur la systématique et évolution du genre Psychotria (Rubiaceae) de Nouvelle-Calédonie ; Yohan Pillon, sur la systématique et l’évolution des Cunoniaceae de Nouvelle-Calédonie ; et, David Bruy, sur l’évolution de l’architecture des plantes de Nouvelle-Calédonie.

Dans l’éloge de Tournefort par Bavier de Fontenelle, ce dernier dit : « la botanique n’est pas une science sédentaire et paresseuse qui se puisse acquérir dans le repos et l’ombre d’un cabinet. » Jérôme est, à cet égard, un botaniste de terrain. Il a trainé sa presse à herbiers dans divers horizons du globe : Guyane, Mexique, Papouasie Nouvelle-Guinée, Vanuatu, Fiji, Wallis et Futuna, et Nouvelle-Calédonie. Il a ainsi collecté sans relâche et continue à collecter et a accumulé ce jour plus de 8500 échantillons d’herbiers en 1er collecteur sur une vingtaine d’années, spécimens essentiellement déposés à Paris, Nouméa, Montpellier et Saint-Louis (USA). Ceci est vraiment remarquable. Plus d’une cinquantaine d’échantillons servent de type à des taxons récemment décrits.

Ses centres d’intérêt scientifiques sont multiples, tant vers l’Ecologie végétale qu’en Systématique. Jérôme travaille dans ce dernier domaine, qui nous intéresse particulièrement ici, sur diverses familles botaniques de l’archipel calédonien, dont les Sapotaceae, les Pandanaceae, les Ebenaceae, les Sapindaceae, les Xiridaceae et les Orchidaceae. Nous pouvons observer sur un exemple de recherche récemment publiée pour la description d’espèces nouvelles de Dendrobium (Orchidaceae) que Jérôme mobilise une certaine diversité d’approches méthodologiques, le terrain évidemment, l’expertise d’herbiers, l’étude morpho-anatomique, la microscopie, entre autres. Nous pouvons aussi observer un travail de phylogénie moléculaire sur les Xiridaceae qui aboutit à la description d’un genre nouveau pour la Nouvelle-Calédonie, Bopopia, nommé d’après une localité de l’archipel où vit cette plante. De manière générale, ses travaux ont permis de décrire plus de 80 taxons nouveaux pour la science, essentiellement pour le territoire néo-calédonien. Cela se résume en plus de 110 publications scientifiques à audience internationale.

Toutefois, comme tout naturaliste qui se respecte, Jérôme s’intéresse à d’autres organismes que les plantes vasculaires, et entre autres les insectes, et plus spécifiquement les abeilles pollinisatrices ou les plantes fossiles. Ses travaux sont généralement effectués en collaboration avec un réseau riche et diversifié de chercheurs nationaux et internationaux, ce qui lui vaut une reconnaissance large de la communauté scientifique. D’ailleurs, divers auteurs ont tenu à souligner cet investissement en dédiant des espèces nouvelles pour lesquelles il a contribué à la découverte ou la connaissance : Dicksonia munzingeri, Myrsine munzingeri et Pichonia munzingeri ; et je crois savoir que d’autres sont à venir…

Ce rôle central pour la connaissance de la flore néo-calédonienne, fondé sur une expérience acquise au travers d’une vingtaine d’années de dévotion à la cause de cette diversité extraordinaire l’engage à une responsabilité forte. En effet, Jérôme mène un travail de suivi et de mise à jour de FLORICAL, la base de données taxonomique pour la flore de Nouvelle-Calédonie, équivalent du TaxRef local. Cette base facilite le travail de tout taxonomiste et évidemment tous les projets de conservation de la diversité végétale de l’archipel.

Enfin, Jérôme, par son implantation à Montpellier, n’en oublie pas sa passion initiale pour la flore métropolitaine et œuvre à la valorisation de la flore et des collections naturalistes, notamment à l’herbier universitaire de cette cité historique de la botanique et pour le compte de la Société botanique d’Occitanie dont il est membre. On peut observer cette implication à partir de cette publication sur comment céder ses herbiers à une structure scientifique dans le bulletin de la SBOcc. Jérôme est par ailleurs membre de la Société française de Systématique et de l’American Society of Plant Taxonomy.

Tous ces points développés et cet investissement remarquable pour la botanique française et ultra-marine justifient pleinement l’attribution à Jérôme Munzinger du prix de Coincy 2021 par la Société botanique de France, et ce soixante année après un autre célèbre explorateur des la Nouvelle-Calédonie, Robert Virot, du MNHN.

Toutes mes félicitations au récipiendaire.