Justine Marchand et Benoît Schoefs, de l’Université du Mans, nous présentent des recherches en cours visant à conférer aux plantes la capacité d’éclairer leur environnement.

 

Il est bien connu que les organismes photosynthétiques utilisent le dioxyde de carbone pour fabriquer les molécules organiques qui les composent et qui servent également à nourrir la biosphère. Les organismes photosynthétiques sont donc à la base de la plupart des réseaux trophiques. Au cours du processus de fabrication de ces molécules organiques, de l’oxygène est généré : c’est lui que nous respirons. Il s’agit là des deux services écosystémiques sur lesquels l’ensemble de la biosphère repose depuis plus de deux milliards d’années. Pour réaliser cet exploit, les organismes photosynthétiques disposent d’un système de conversion de l’énergie associée aux photons et absorbée par des pigments comme la chlorophylle en énergie chimique. Le système est construit de telle sorte qu’une fois l’énergie associée à un photon absorbée, la probabilité que cette énergie soit rendue à l’environnement est très faible, de l’ordre de quelques pourcents : il s’agit donc d’une lumière d’intensité très faible et de couleur rouge (Müller, 1873).

Dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique et de la raréfaction des ressources en énergie, disposer d’organismes captant le dioxyde de carbone dans l’environnement constitue un avantage significatif. Cet avantage serait encore magnifié si ces organismes étaient aussi capables d’émettre suffisamment de lumière que pour servir de mode d’éclairage alternatif pour l’utilisation domestique voire publique de l’électricité.

Les premières tentatives dans cette direction ont été réalisées dans les dernières décennies du dernier siècle (Ow et al., 1986). Ces expériences ont bénéficié de la possibilité d’introduire dans le génome des plantes le gène codant la luciférase, une enzyme naturellement présente chez les lucioles, lanternes virevoltantes naturelles de l’été (Figure 1). Raphaël Dubois, un natif de Le Mans qui mis en évidence cette réaction, intitula de manière prémonitoire une de ses publications de synthèse « Les animaux et les végétaux lumineux. Le secret de leur fabrication et la lumière de l’avenir » (Dubois, 1914). En présence d’ATP, de magnésium et d’oxygène, la luciférase oxyde la luciférine, une réaction qui s’accompagne de l’émission de photons. En utilisant les méthodes du génie moléculaire, des chercheurs ont inséré le gène codant la luciférase dans le génome des végétaux. Une fois la luciférase produite et en présence des substrats mentionnés plus hauts, de la lumière est émise.

 

Figure 1. Les traits jaunes matérialisent le vol de lucioles, qu’il est de plus en plus rare d’apercevoir dans les zones urbanisées ou d’agriculture intensive. From Par Quit007 — Travail personnel, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=1433821.
 

Dans ces applications, les difficultés principales résident dans la toxicité de la luciférine pour les cellules végétales et dans l’acheminement régulier des substrats dans le même compartiment cellulaire que celui contenant la luciférase (Kim et al., 2006). Pour résoudre ces difficultés, les chercheurs de l’équipe du Professeur Strano du Massachusetts Institute of Technology (Etats-Unis d’Amérique) ont proposé d’introduire dans les feuilles des plantes des nanoparticules fonctionnalisées avec la luciférase en utilisant les orifices naturels que sont les stomates. Les nanoparticules introduites peuvent être guidées dans la plante et même à l’intérieur des cellules végétales (Wong et al., 2016) afin de les positionner au plus près des deux compartiments générant naturellement de l’ATP à savoir la mitochondrie et le chloroplaste. A l’aide de ce système, la durée de l’émission de lumière a été portée à presqu’un jour, ce qui représente une augmentation d’un facteur 3 par rapport à la durée obtenue avec la luciférase. L’intensité maximale de l’éclairement émis est d’environ 0,5 µW à 560 nm (vert) mais diminue progressivement avec le temps (Kwak et al., 2017). L’utilisation d’un pochoir pour l’insertion des nanoparticules permet déjà de dessiner des motifs particuliers à l’intérieur des feuilles, rendant possible l’utilisation de cette technique pour la création d’enseignes publicitaires qui pourraient être allumées ou éteintes à l’aide d’un interrupteur chimique. Enfin, la couleur de la lumière verte émise pourrait être modifiée à l’aide de composés particuliers (Kwak et al., 2017).

Très récemment, Gordiichuk et al. (2021) ont utilisé une stratégie similaire pour déposer sur les surfaces externes des cellules des parenchymes foliaires des nanoparticules capables d’émettre de la phosphorescence sans affecter signficativement la capacité photosynthétique des plantes. Les résultats obtenus avec le cresson de fontaine (Nasturtium officinale L.) sont spectaculaires : l’émission de lumière est suffisamment intense que pour permettre la prise d’une photographie avec un téléphone portable. Equipée d’une lentille de Fresnel, la phosphorescence émise par les feuilles est visible à plus d’un mètre de distance !

Depuis la colonisation des terres émergées, les plantes façonnent la terre et rendent des services écosystémiques considérables. Couplées aux technologies modernes, leur importance pourrait-elle encore croître dans le contexte énergétique compliqué à venir ?

 

Justine Marchand & Benoît Schoefs, Métabolisme, Ingénierie Moléculaire des Microalgues et Applications, Unité de Recherche Biologie des Organismes, Stress Santé Environnement, IUML – FR 3473 CNRS, Le Mans Université, Le Mans, France.

 

 

BIBLIOGRAPHIE :

Dubois, R. 1914. Les animaux et les végétaux lumineux. Le secret de leur fabrication et la lumière de l’avenir. in: Comptes Rendus du Congrès anglo-français de l’Association Française pour l’Avancement des Sciences, Association Française pour l’Avancement des Sciences. Le Havre, pp. 12.

Gordiichuk, P., Coleman, S., Zhang, G., Kuehne, M., Lew, T.T.S., Park, M., Cui, J., Brooks, A.M., Hudson, K., Graziano, A.M., Marshall, D.J.M., Karsan, Z., Kennedy, S., Strano, M.S. 2021. Augmenting the living plant mesophyll into a photonic capacitor. Science Advances, 7(37), eabe9733.

Kim, S.-Y., Sivaguru, M., Stacey, G. 2006. Extracellular ATP in plants. Visualization, localization, and analysis of physiological significance in growth and signaling. Plant Physiology, 142(3), 984-992.

Kwak, S.-Y., Giraldo, J.P., Wong, M.H., Koman, V.B., Lew, T.T.S., Ell, J., Weidman, M.C., Sinclair, R.M., Landry, M.P., Tisdale, W.A., Strano, M.S. 2017. A nanobionic light-emitting plant. Nano Letters, 17(12), 7951-7961.

Müller, N.J.C. 1873. Beziehungen zwischen Assimilation, Absorption und Fluorescenz im Chlorophyll des Iebenden Blattes. Jahrbücher für Wissenschaftliche Botanik, 1873-1874, 42-49.

Ow, D.W., JR, D.E.W., Helinski, D.R., Howell, S.H., Wood, K.V., Deluca, M. 1986. Transient and stable expression of the firefly luciferase gene in plant cells and transgenic plants. Science, 234(4778), 856-859.

Wong, M.H., Misra, R.P., Giraldo, J.P., Kwak, S.-Y., Son, Y., Landry, M.P., Swan, J.W., Blankschtein, D., Strano, M.S. 2016. Lipid exchange envelope penetration (LEEP) of nanoparticles for plant engineering: A universal localization mechanism. Nano Letters, 16(2), 1161-1172.