Nos collègues Jean Vallade et Claude Lerat-Gentet se sont penchés sur cet étonnant phénomène hivernal dans un article publié tout récemment dans la revue Bourgogne-Franche-Comté Nature, reproduit ici avec l’aimable autorisation du directeur de la revue, M. Daniel Sirugue, et des auteurs.

 

Les cheveux de glace

Par Jean VALLADE et Claude LERAT-GENTET (Société des Sciences Naturelles de Bourgogne)

Les cheveux de glace se forment sur des fragments de bois mort, tombés à terre, provenant d’arbres feuillus. C’est un phénomène éphémère qui se produit de préférence dans des sites ombragés, et « dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne » ; il exige des conditions météorologiques particulières : gel modéré (-1°C à 0°C) et sol très humide mais pas encore gelé. Lorsque ces conditions sont réunies, ce qui est assez peu fréquent, ces formations « capillaires » peuvent être abondantes, ce qui a été le cas au cours de l’hiver 2024-2025, où elles ont été observées par plusieurs naturalistes dans les combes à proximité de Dijon et dans les hêtraies du Morvan[1]. Les échantillons représentés ci-dessous ont été rencontrés et photographiés par Claude LERAT-GENTET. Cela fait trois années consécutives, que ces magnifiques cheveux se déploient, à peu près au même endroit, dans le domaine de la combe à la Serpent, près de Dijon.

Ces pelotes floconneuses, blanc-bleuté, brillantes, peuvent ausssi prendre l’aspect de vagues ou d’écharpes plus ou moins enroulées. Elles sont constituées de filaments de glace d’une vingtaine de µm de diamètre, lisses et non ramifiés, à reflets chatoyants. Chaque cheveu peut mesurer jusqu’à 20 cm de longueur.

Si les conditions météorologiques restent favorables, ces structures peuvent se maintenir en l’état, plusieurs heures voire plusieurs jours. Inutile d’insister sur la réussite esthétique de ces cheveux qui ne peuvent laisser « de glace » les chanceux promeneurs qui les rencontrent !

Ci-dessous : Cheveux de glace enroulés accompagnés par une Trémelle (Tremella mesenterica).

Sur le plan historique on doit à Alfred WEGENER[2] (1880-1930) d’avoir découvert dans les montagnes des Vosges puis dans le nord de l’Allemagne en 1918 ces cheveux de glace et avoir remarqué que leur formation était liée à la présence d’un champignon.

Plusieurs autres naturalistes ont par la suite confirmé la présence de mycélium sur le bois comme condition nécessaire à la formation des cheveux de glace. Mais il faut attendre 2015 et les observations et les expérimentations de D. HOFMANN, G.PREUSS et C. MÄTZLER[3] pour avoir une bonne explication des modalités de formation de ces étonnantes structures. A partir de l’analyse de cette importante contribution, nous retiendrons les différents points suivants :

– Les cheveux d’une vingtaine de µm de diamètre se forment à la surface d’un fragment de bois en cours de décomposition mais ayant conservé une structure proche de celle qu’il avait lorsqu’il était fonctionnel dans l’aubier d’un rameau d’arbre ou arbuste feuillus. On remarque que les cheveux ne se forment jamais sur une portion lisse (à la surface de l’écorce par exemple) mais toujours au contact d’une partie plus ou moins sectionnée du bois laissant apparaître des vaisseaux (au sens donné à ce terme en anatomie végétale). On remarquera que le diamètre de ces vaisseaux est du même ordre de grandeur que celui des fils de glace extrudés, soit une vingtaine de µm.

– Les auteurs cités ont reconnu une douzaine d’espèces de ligneux concernées par la présence éventuelle de cheveux de glace : Erable sycomore, Sureau noir, Bouleau pendant, Charme, Noisetier, Aulne glutineux, Hêtre, Chênes (pédonculé, noir, bâtards), Merisier, Sorbier des oiseleurs, avec la fréquence la plus élevée notée pour le Hêtre. Les échantillons de bois étudiés, porteurs de cheveux de glace, appartiennnet tous aux Angiospermes dont le bois est dit hétéroxylé, c’est-à-dire pourvus de vrais vaisseaux. Mais aucun n’appartient aux Gymnospermes (Pins, Sapins, Epicea) dont le bois est homoxylé, c’est-à-dire dépourvu de vaisseaux.

– Ces constatations laissent penser que les vaisseaux jouent un rôle majeur (sinon exclusif) dans la possibilité de la formation des cheveux de glace. Cette hypothèse est en accord avec l’interprétation avancée par les auteurs selon laquelle la glace trouve son origine dans l’eau contenue dans le substrat (« bois poreux ») et non à partir d’eau atmosphérique ; les auteurs parlent et développent à ce sujet la notion de « basicryogénie ». Dans les vaisseaux, du fait d’une légère surfusion, l’eau reste à l’état liquide à une température légèrement inférieure à O°C. Ce maintien d’un film d’eau liquide permet l’expression des effets de la capillarité en-deça du front de congélation. Dans ces conditions, les forces interfaciales mises en jeu, conduisent à une extrusion de la glace du bois où elle trouve son origine. Le processus se poursuit tant qu’il y a suffisamment d’eau imprégnée dans le bois susceptible de remplacer l’eau utilisée pour la formation de la glace.

– Les auteurs soulignent que le maintien de ces structures filamenteuses pendant plusieurs heures, voire plusieurs jours, est surprenante. Cette stabilité traduit, selon eux, l’absence d’un processus de recristallisation normalement attendu à des températures proches de la température de fusion. Ce comportement spécifique s’expliquerait par la présence dans les cheveux de glace d’un « inhibiteur de recristallisation » qui pourrait provenir de l’activité du champignon.

La recherche du champignon impliqué dans ce processus a été effectuée par les auteurs cités. Onze espèces de champignons ont pu être identifiées mais une espèce est sortie du lot, étant la seule à être présente sur tous les échantillons étudiés : Il s’agit d’Exidiopsis effusa, parfois seule espèce présente sur les fragments de branches accueillant des cheveux de glace. Ce Basidiomycète corticié appartenant à l’ordre des Auriculariales est désormais considéré comme le responsable de la réussite de la formation des cheveux de glace. Son identication a été effectuée par l’étude microscopique du mycélium sexué (présence des basides piriformes divisées longitudinalement, tétrasporées). Sa présence indispensable a été démontrée par des expériences convaincantes d’inactivation du champignon par la chaleur et par l’action de fongicides.

Toutefois, le rôle précis du champignon n’est pas encore totalement élucidé : selon les auteurs, le champignon serait responsable de la décomposition du bois et en particulier de sa composante principale, la lignine. Les produits de dégradation de la lignine, présents dans le liquide issu de la fusion des cheveux de glace, pourraient être à l’origine de l’ « inhibiteur de recristallisation » recherché.

 

Remerciements :

-à Marcel VALLADE, professeur de Physique retraité de l’Université de Grenoble, pour sa relecture et son aide pour la rédaction des paragraphes faisant allusion aux aspects biophysiques du phénomène.

-à Alain GARDIENNET, mycologue averti, membre de la SSNB, pour sa relecture et plusieurs remarques dont celle sur la fréquence des formations des cheveux de glace, trop souvent présentée à tort comme « rare », et l’ajout du nom d’espèce de la Trémelle (Tremella mesenterica).

 

Dijon, le 2 février 2025

[Les beautés de la nature empruntent parfois d’étranges chemins tortueux pour déployer leurs charmes]

 

Références :

[1] Communications personnelles de Cécile FRELIN et de Alain GARDIENNET, membres de la Société des Sciences Naturelles de Bourgogne.

[2] Alfred WEGENER météorologue et géophysicien célèbre, principalement connu pour sa théorie de la dérive des continents (1912) est né en Allemagne et mort prématurément au Groënland au cours d’une de ses expéditions scientifiques. C’est tout à fait accessoirement qu’il découvre l’existence des cheveux de glace et remarque pertinemment que leur formation sur du bois en décomposition est liée à la présence d’un champignon.

[3] HOFMANN D., PREUSS G., MÄTZLER C. 2015. Evidence for biological shaping of hair ice. Biogeosciences, 12, 4261-4273.