Retrouvez ici l’éloge présenté par Michel Boudrie et Florence Le Strat lors de la séance de la Société botanique de France du 26 novembre 2021.

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Texte de Michel Boudrie et montage photographique de Florence Le Strat

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Remise de la médaille par la Présidente Élisabeth Dodinet à Catherine de Granville au nom de son père qui n’a pu se déplacer

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“Cher Jean-Jacques, c’est le 5 août 1943 que tu vois le jour à Neuilly-sur-Seine.

Dès l’âge de 24 ans, tu te lances dans des études de botanique, tout d’abord à Paris VI où, en 1968, tu passes ton DEA de botanique tropicale. Ensuite, c’est la thèse de doctorat d’état que tu soutiens à Montpellier en 1978, sous la houlette de Francis Hallé et ayant comme sujet : « Recherches sur la flore et la végétation guyanaise ». Mais, par la suite, tu continueras longtemps à chercher dans cette passionnante contrée qu’est notre chère Guyane.

En effet, de 1969 à 1977, pour ta thèse, tu séjourneras à Cayenne et découvriras les mystères de la forêt humide sempervirente, des savanes côtières et des savanes-roches. À cette époque, l’herbier de Guyane, créé en 1965 et hébergé par l’ORSTOM (maintenant l’IRD), était dirigé par Roelof A.A. Oldeman, et, en 1973, tu en prends la direction jusqu’en 1976 pour finir ta thèse à Montpellier. L’herbier passe alors aux mains de notre ami Georges Cremers jusqu’en 1998, partant alors en retraite. De 1998 à 2007, tu redeviens le conservateur de l’herbier et tu prends ta retraite en 2008.

Donc, 1969-2008, presque 40 ans de botanique en Guyane ! Et tu n’as pas cessé après.

Que de missions, de récoltes, de travaux, de publications, effectués pendant ces années… La liste est longue.

On peut dire, Jean-Jacques, que tu as parcouru toute la Guyane, et à une époque où les moyens de communication n’étaient pas ceux que l’on connaît maintenant. Les missions étaient longues, parfois un à deux mois en forêt, les accès difficiles, en pirogue, tout comme l’organisation logistique grâce à l’aide efficace de Georges Elfort, les camps volants, le portage du matériel, le séchage des échantillons. Du Mont St-Marcel (où tu as découvert le Cyclodium rheophilum – c’est une fougère, endémique de Guyane – au Dékou-Dékou, de la Trinité (où tu t’es ouvert la main avec ta machette en 1984) aux Tumuc-Humac, en passant par l’Armontabo, la Roche Touatou, les monts Arawa (tu te souviens, le puma et les jaguars avec Françoise et Corinne ?), du Sommet Tabulaire aux monts Bakra, des monts Atachi Bakka aux Nouragues en passant par le Galbao, la montagne aux Gouffres, etc, etc… tu les as tous faits !

Ton activité à l’IRD, en tant que Directeur de Recherches, consistait en l’étude de la diversité végétale des Guyanes en vue du développement des connaissances et de la gestion de la biodiversité (programmes Flora of the Guianas et Biological Diversity of the Guianas) et de la phytogéographie (cartographie des écosystèmes, endémisme, théorie des refuges, programme ECOFIT).

Tes récoltes représentent 19.409 spécimens qui sont déposés à l’herbier de Guyane (CAY) avec des doubles dans les herbiers internationaux, dont plusieurs participant au programme Flora of the Guianas, la FOG, comme ceux de Paramaribo (BBS), Georgetown (BRG), Missouri Botanical Garden (MO), New York (NY), Washington (US) pour l’Amérique, et ceux de Paris (P), Berlin (B), Londres (BM), Kew (K), Utrecht (U), Zurich (Z) pour l’Europe, etc…

Dans le cadre de tes activités à l’herbier, tu t’es spécialisé dans l’étude des Palmiers quant à leur systématique, morphologie et écologie. Tu as décrit 4 espèces qui sont Asterogyne guianensis, Bactris nancibaensis, Bactris pliniana et Geonoma oldemanii. Nous en profitons pour souligner tes talents de remarquable dessinateur, d’une part, sur tes carnets de terrain, et, d’autre part, sur les posters que tu as réalisés, ainsi que pour ton excellent Guide des Palmiers de Guyane publié en 2014 avec le concours de l’ONF. Mais tu t’es aussi fortement intéressé aux ptéridophytes. Par ailleurs, avec Georges Cremers, Christian Feuillet et Michel Hoff, en 1986, tu as mis en place la base de données Aublet2 et le site web de l’herbier est créé par la suite, ce dernier toujours consultable sur Internet.

En parallèle, en Guyane, tu as été impliqué dans de nombreuses instances et commissions comme le CSRPN de Guyane que tu as présidé en 2007-2008, et dont tu es resté membre jusqu’en 2018, le Conseil Scientifique du Parc Amazonien, la Commission des Sites, l’UICN dont tu étais expert pour la commission « Sauvegarde des Espèces », le Comité scientifique du Parc Naturel Régional de Guyane, l’Association pour la Conservation Botanique en Guyane que tu présidais, le comité de suivi de la Réserve Naturelle nationale du Grand Matoury, le conseil d’administration de l’Association pour la Gestion des Espaces Protégés, sans oublier ta représentation pour l’IRD au sein du Consortium de la Flora of the Guianas jusqu’en 2008.

Concernant les taxons qui t’ont été dédiés, il faut citer tout d’abord un genre d’Orchidaceae, Degranvillea, puis pas moins de 21 espèces végétales dans diverses familles, ainsi qu’une grenouille (Anomaloglossus degranvillei), un Lépidoptère (Lycomorphodes granvillei) et un Coléoptère longicorne (Zeale granvillei), tous de Guyane.

De plus, dans le cadre d’activités de transfert, de valorisation et d’apport au développement, en 16 années, tu as réalisé 33 contrats de consultance et 4 conventions de recherche (EDF, DDE, ONF, DIREN, Conseil Régional, Universités, compagnies minières, sociétés routières, bureaux d’études, etc.) dans les domaines suivants : établissement et révision des ZNIEFF, création et gestion d’espaces protégés, élaboration de la liste d’espèces protégées par arrêté ministériel, réalisation d’études d’impact, participation à différents schémas (SAR, SENR, SNB…), ainsi que des programmes de génétique de l’ananas, du manioc et de l’igname… On peut citer également plusieurs actions en partenariat avec la SÉPANGUY, la Société d’Études de Protection et d’Aménagement de la Nature en Guyane.

Concernant l’enseignement, tu as donné des cours à l’ENGREF sur la phytogéographie et à l’Université d’Utrecht sur les palmiers. Tu as encadré de nombreux stagiaires et as été directeur scientifique de 7 étudiants (Univ. Paris VI, Montpellier II; Paris XII, Toulouse III, Metz, Quito). Tu as également été à plusieurs jurys (D.E.A à Montpellier, et 2 thèses à Paris VI et Montpellier), ainsi que directeur scientifique de 3 thèses (MNHN-Paris, Université Antilles Guyane).

De 1970 à 2012, tu as produit 231 documents dont 117 publiés (6 livres, participation à 27 ouvrages de synthèse, 57 articles dans des revues dont 45 de rang A, participation à 48 congrès et séminaires avec 46 communications présentées). Tu as aussi présidé et animé plusieurs congrès et séminaires botaniques en Guyane (Flora Neotropica et Flora of the Guianas, à Cayenne en 1988 et 2003, 2ème Congrès régional de l’environnement, en 1990, Séminaire WWF à Cayenne en 1999). Tu as donné de nombreuses conférences, as participé à des films documentaires, des émissions TV et de radio. Sans compter ta participation comme producteur animalier pour des films tournés en Guyane comme « 600 kg d’or pur » avec Clovis Cornillac, Patrick Chesnay et Bruno Solo.

Concernant la SBF, tu n’es pas non plus un botaniste éloigné géographiquement de notre société. Tu as participé à la Journée d’études sur la végétation de Guyane, qui s’était tenue en octobre 2000, en nous présentant les milieux et les formations végétales de la Guyane française [Act. Bot. Gallica, 143 (3)]. Et tu nous as également assistés activement pour la préparation et le compte-rendu de notre session extraordinaire en Guyane de juillet 2012.

Maintenant, si tu me permets, Jean-Jacques, je voudrais faire un petit clin d’œil sur tes activités extra-botaniques, et notamment ta participation, très active et pendant des années, au célèbre carnaval de Guyane au sein du groupe Os Band, créé en 1992 par des anciens chercheurs de l’ORSTOM.

Enfin, on retient également ta bonne humeur, tes jeux de mots et calembours incessants, ton sens de la réception à ta belle villa créole à Cayenne, ton amitié fidèle, ton amour de la Guyane. Ainsi, la somme impressionnante de tes réalisations botaniques nous conduit donc, aujourd’hui, à reconnaître tes mérites et à t’attribuer, avec un très grand plaisir, le prix Gandoger de Phanérogamie, décerné par la Société botanique de France.”

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