Retrouvez ci-dessous le texte et la vidéo de l’éloge présenté en séance par Michel Boudrie

 

Lors de la séance du 17 mars 2023, le prix Gandoger de Cryptogamie 2023 a été attribué à Georges Cremers, notamment pour son travail sur les Ptéridophytes des Guyanes. L’éloge a été prononcé par notre collègue Michel Boudrie.

 

 

« Mon cher Georges,

Tu es né le 3 août 1936, à Bruxelles, en Belgique, mais 10 jours plus tard, tu étais déjà à Paris pour retrouver ton père qui y travaillait. Après la période scolaire en France, tu as continué les études universitaires à Bruxelles pour devenir, en 1959, Ingénieur en Agriculture tropicale.

 

Ce diplôme en poche, tu as passé un concours pour un poste au Congo belge dont tu es sorti 15ème sur 500 concurrents. Puis, en 1960, tu te retrouves Ingénieur en Industrie du bois. Mais, c’est ensuite la période du service militaire en Allemagne, en 1960-1961. À cette date, il n’était plus possible de partir au Congo où la situation, en raison de l’indépendance, était très dangereuse.

 

Pourtant, une fois le service militaire terminé, et voulant toujours aller en Afrique, tu as réussi, par des amis, en 1962, à décrocher un stage de 6 mois dans une plantation de bananes en Côte d’Ivoire. Vers la fin de cette période d’essai, lors d’une discussion avec le directeur, ce dernier t’a proposé de prendre contact avec le directeur du centre ORSTOM d’Abidjan. C’est ainsi que tu as pu obtenir un poste de technicien et mettre le pied dans cette grande institution.

De 1962 à 1970, tu as été affecté à la Côte d’Ivoire au laboratoire de l’ORSTOM où tu étais gestionnaire de l’herbier. En même temps, tu as suivi les cours de sciences à l’Université d’Abidjan, et aussi à Orsay (pendant tes vacances). Francis Hallé, présent aussi à Abidjan à cette époque, travaillant sur l’architecture végétative, un sujet de thèse avait été lancé sur l’architecture des lianes, mais a dû être abandonné, suite à ta nouvelle affectation.

De 1970 à 1975, tu seras à Madagascar, toujours pour la gestion de l’herbier. Un second sujet de thèse sur l’architecture des Euphorbia a, à nouveau, été attaqué mais n’a pu arriver à son terme suite à ton départ obligé et forcé de Madagascar (comme tous tes autres collègues) à cause du changement de régime politique.

 

Après une année au Muséum à Paris, c’est finalement en août 1976 que notre chère Guyane t’accueille et où tu retrouveras Jean-Jacques de Granville à l’herbier du centre ORSTOM de Cayenne, puis, en 1986, Michel Hoff et, enfin, en septembre 1996, un certain Michel Boudrie.

Ci contre, G. Cremers devant l’entrée de l’herbier de Guyane, Cayenne, juin 2000.

 

Jean-Jacques repartant en métropole pour finir sa thèse à Montpellier, tu prends donc la direction de l’herbier en 1976 que tu conserveras jusqu’en janvier 1998, date de ton retour en métropole où tu seras affecté au Muséum de Paris jusqu’à ta retraite en 2001.

 

 

Mais ce n’est pas parce tu as été en retraite que tu as abandonné tous les (nos) travaux sur les ptéridophytes des Guyanes, bien au contraire…

 

À ton arrivée en Guyane, tu as repris un troisième sujet de thèse qui, lui, est arrivé à terme et tu as passé, le 22 mars 1983, le doctorat de 3^ème cycle en biologie et physiologie végétales à l’université Louis Pasteur de Strasbourg, dont le sujet était : « Architecture végétative et structure inflorescentielle de quelques Melastomataceae guyanaises », publiée en 1986 par l’ORSTOM.

 

Tes premières publications datent de 1967, et, de suite, tu as publié dans des revues de haut niveau comme Adansonia ou Candollea. À ce jour, ce sont 112 publications, au moins, qui sont à ton actif. Concernant l’Afrique, les sujets ont été principalement l’architecture des lianes, mais aussi les Characées, alors que, pour Madagascar, ce sont les Euphorbes qui ont suscité le plus ton intérêt.

 

En Guyane, tu as commencé par des travaux sur la flore générale, pour basculer, dès 1987, dans le domaine des ptéridophytes que tu n’as plus quittées, en plus de nombreux autres groupes et familles comme les Orchidées, les Melasto (notamment avec Claire Martin), etc.

Ci-contre, premières de couverture des flores de la zone côtière de Guyane.

 

 

Tu deviens donc « responsable des Ptéridophytes » pour le programme « Flora of the Guianas » (la FOG) et tu travailleras en étroite collaboration avec Karl U. Kramer, de Zürich. En même temps, grâce à tes discussions avec Gérard Aymonin dans les travées du 3ème au Muséum, tu t’es fortement passionné pour les travaux des botanistes néotropicaux anciens comme Aublet, Fée, Glaziou, L’Herminier, les frères Schomburgk, et, surtout, celui qui, à force, est devenu presque notre ami, le père Charles Plumier (1646-1704).

 

Ci-contre, les fascicules de l’Inventaire taxonomique des plantes de la Guyane française.

Ces recherches ont abouti à la publication de plusieurs articles notamment dans le Journal de Botanique de la SBF comme nos articles sur Plumier dont il reste à finaliser le 3ème épisode pour clôturer le sujet. Parmi tes principaux ouvrages, on peut citer les flores de la région côtière de Guyane, les 8 volumes de l’inventaire taxonomique des plantes de Guyane dont la publication s’est échelonnée de 1990 à 2000 en collaboration avec Michel Hoff, les fascicules de la FOG avec, notamment, Karl U. Kramer et également Alan R. Smith et Robbin C. Moran, le guide des plantes vasculaires de Guyane centrale (de la région de Saül) avec Scott Mori, ouvrage qui a reçu, en 2002, la médaille d’argent d’Engler de l’Association Internationale de Taxonomie Botanique (IAPT), le guide de la flore des bords de mer de Guyane, etc.

J’aimerais également souligner tes talents de dessinateur qui t’ont permis d’illustrer les planches de ptéridophytes et d’autres groupes dans les ouvrages que je viens de citer. Ci dessous : Dessins de G. Cremers.

 

 

À côté de ce travail de recherche et de publications, tu as géré au quotidien les activités de l’herbier de Guyane, l’entrée des récoltes, les déterminations des spécimens, leur classement, les envois de prêts et leurs retours, l’accueil des visiteurs et des scolaires, et, bien sûr, tu as participé avec Jean-Jacques et bien d’autres botanistes réputés comme, par exemple, Scott Mori (de New York), Marion Jansen-Jacobs et Anne Görts-van-Rijn d’Utrecht, Michel Hoff, Lucile Allorge, et bien d’autres, aux nombreuses missions de terrain, depuis la zone côtière jusqu’aux plus hauts sommets de la Guyane comme le Sommet Tabulaire ou les monts Bellevue de l’Inini, des missions jadis longues et qui n’ont pas toujours été de tout repos.

 

Ci dessus, G. Cremers et ses amis ptéridologues, devant l’entrée du laboratoire de phanérogamie, MNHN, Paris, 6 mai 2004 : de droite à gauche : Georges Cremers, France Rakotondrainibe, Ronnie Viane, Frédéric Badré, Michel Boudrie Photo A. Boudrie.

 

Tu as créé et surtout saisi, avec Michel Hoff, la première base de données complète d’un herbier en France (et même dans le monde), la base Aublet, qui rassemble les informations de plus de 100 000 spécimens de Guyane, base de données devenue en 1997 « Aublet2 » et comprenant maintenant plus de 200 000 enregistrements.

Tes récoltes, tous pays confondus (Côte-d’Ivoire, Madagascar, Guyane, Antilles), représentent 15.518 spécimens dont 11.663 déposés à l’herbier de Guyane (dont le code est CAY) avec des doubles dans les herbiers internationaux participant au programme de la FOG, des herbiers comme BBS, BRG, dans les Guyanes, NY, US, aux USA, et B, K, L, P en Europe, ainsi qu’à MO, UC, BR, Z, etc. Ces spécimens correspondent à la flore générale, mais avec beaucoup de Melastomataceae et, bien sûr, de Ptéridophytes.

Ainsi, en 2003, un genre de la famille des Gesneriaceae t’a été dédié par nos amis Christian Feuillet et Larry Skog, le genre Cremersia qui est monospécifique avec l’espèce Cremersia platula.

 

D’ailleurs, c’est ici pour moi l’occasion d’évoquer un grand moment d’émotion sur le terrain lors de la mission, en mars 2010, au Sommet Tabulaire (le mont Itoupé) à laquelle j’ai eu la chance de participer, où nous sommes tombés sur une dalle rocheuse où poussaient ensemble Cremersia platula et la fougère Blechnum gracile var. pilosum que, toi et moi avons décrite en 2008. Voici la photo de ce lieu hautement crémersien.

 

Mont Itoupé (Guyane), 29 mars 2010. En haut à gauche, la dalle rocheuse (photo M. Boudrie) ; à droite, Cremersia platula (photo O. Tostain) ; en bas, à gauche, Blechnum gracile var. pilosum (photo M. Boudrie) ; à droite, Blechnum et Cremersia (photo M. Boudrie).

 

Tu as décrit 19 taxons, tout d’abord pour les Phanérogames, dans les genres Aloe (de Madagascar : A. guillaumetii, A. peyrierasii) et Euphorbia (de Madagascar : E. decaryi var. ampanihyensis, var. capsaintemariensis, var. robinsonii, E. enterophora subsp. crassa, E. famatamboay subsp. itampolensis, E. francoisii var. rakotozafyi, E. imerina, E. moratii var. antsingiensis, var. bemarahensis, E. primulifolia var. begardii), Epidendrum (de Guyane : E. bakrense), Miconia (de Guyane : M. ceramicarpa var. crozieriae), Passiflora (de Guyane : P. crenata, P. plumosa) et, ensuite, pour les Ptéridophytes (des Guyanes), dans les genres Blechnum (B. gracile var. pilosum), Diplazium (D. roraimense), Hypolepis (H. krameri), Lindsaea (L. lancea var. submontana) et Saccoloma (S. elegans subsp. chartaceum).

Ci-contre, Saccoloma elegans subsp. chartaceum Cremers & K.U. Kramer (Jansen-Jacobs 338 – Isotype P00536373).

 

Ensuite, pas moins de 23 espèces t’ont été dédiées, dont 7 de Madagascar et presque toutes les autres de Guyane. Elles portent donc toutes l’épithète cremersii. J’ai compté 3 Araceae (dans les genres Anthurium, Philodendron et Xanthosoma), une Aristolochiaceae, une Asclepiadaceae (du genre Matelea), 2 Bignoniaceae (des genres Amphilophium et Distictella), 2 Boraginaceae (dans les genres Cordia et Varronia), une Bromeliaceae (un Pitcairnia), 3 Euphorbiaceae, une Asphodelaceae (du genre Aloe), une Melastomataceae (dans le genre Leandra, transférée ultérieurement dans le genre Miconia), une Moraceae (un Ficus), 2 Orchidaceae (dans les genres Epidendrum et Lepanthes), puis 3 Bryophytes (des genres Campylium, Cololejeunea et Fissidens) et une Hépatique (du genre Haplolejeunea), et, finalement, 3 fougères dont Asplenium cremersii (de Madagascar) que Ronnie t’a dédiée, Elaphoglossum cremersii (endémique de Guyane) de John Mickel et le tout dernier, Adiantum cremersii que j’ai eu le grand plaisir, avec Jefferson Prado, de te dédier et qui est du Guyana.

 

 

 

Pour finir, tu as été auteur ou co-auteur dans 43 combinaisons, notamment dans les Euphorbiaceae de Madagascar, mais aussi dans les ptéridophytes avec 14 où nous sommes tous les deux associés, notamment pour les taxons nouveaux que nous avons décrits ensemble. Sans compter le grand nombre de tes spécimens qui ont été choisis comme types de nouveaux taxons par différents auteurs.

 

 

Dans les Melastomataceae, je voudrais souligner, non sans un petit clin d’œil complice et amusé, la combinaison Miconia ceramicarpa var. crozieriae que toi et notre amie Claire Martin avez dédiée à notre grande amie Françoise Crozier.

Ainsi, ton ardeur au travail, ta persévérance dans les sujets les plus difficiles, ton sens de l’observation, du respect de la nomenclature, ta passion pour la botanique, tes dessins, tes connaissances, tous ces atouts qui ont été reconnus par les botanistes qui t’ont dédié tous ces taxons, et l’impressionnant et remarquable travail que tu as produit par tes nombreux ouvrages nous amènent, aujourd’hui, à reconnaître tes mérites et à t’attribuer, avec un très grand plaisir, le prix Gandoger de Cryptogamie, décerné par la Société botanique de France. »

 

 

Sources

Sambin A. & Ravet E., 2021. – Les Orchidées de Guyane. Editions Biotope, Mèze, 672 p.

Viane R.L.L., 2021. – Aspleniaceae of Madagascar. D/2021, Ronald Viane (Ed.), 247 p. et 140 fig., ISBN 978-9-4642095-0-1.

 

Citations scans spécimens d’herbier

MNHN, Paris (herbier P) : Muséum national d’Histoire naturelle, Paris (France) ; Collection : Plantes vasculaires (P) :

–  Spécimen P00536373 : http://coldb.mnhn.fr/catalognumber/mnhn/p/p00536373

–  Spécimen P00398957 : http://coldb.mnhn.fr/catalognumber/mnhn/p/p00398957

–  Spécimen P02194669 : http://coldb.mnhn.fr/catalognumber/mnhn/p/p02194669

Herbier IRD de Guyane, Cayenne (herbier CAY) : https://doi.org/10.23708/herbier-guyane-ird.

NMNH, Washington (herbier US) : https://collections.nmnh.si.edu/search/botany/